Un mardi après-midi, salle de réunion de la SMES… Je rencontre Roger Schmitt, fondateur et actuel directeur de la société. On m’a prévenue : Il est intarissable sur son entreprise, j’ai aménagé mon emploi du temps en conséquence…

Roger Schmitt sait ce qu’il veut. Il l’a toujours su. À 14 ans déjà, il sait qu’il veut créer une société. L’idée est encore floue, mais ce projet d’entreprise, il y tient. Avec un CAP de mécanicien tourneur en poche, il se lance un lundi matin, 12 ans plus tard en juin 1987, avec son frère. Il a alors 26 ans. L’entreprise familiale débute dans la cave du domicile de ses parents à Brunstatt. Un atelier de 70 m2, équipé du minimum, l’expérience de son père, lui-même aux commandes d’une petite société, et la discipline acquise à l’armée, la SMES – Société Mécanique Entretien et Services – est née. Roger Schmitt en est parfaitement conscient, c’est une aventure risquée et les premiers jours sont difficiles. De longues journées de travail, allant parfois jusqu’à 20 heures, des négociations ardues et des efforts sans relâche pour concrétiser le projet de toute une vie : celui de faire vivre son entreprise et de créer des emplois. 

Peu à peu, la petite société se développe et un deuxième employé rejoint les deux frères au bout de quelques mois. Puis 3 ans plus tard, vient le temps du déménagement, à Wittelsheim, dans des locaux plus grands et plus adaptés à l’activité. À cette époque, l’actuelle zone industrielle de Wittelsheim n’existe pas et le terrain est peu coûteux. Il n’en faut pas plus à Roger Schmitt pour saisir l’opportunité de donner une nouvelle envergure à son entreprise. Sur les 30 ares de terrain acquis en 1990, il développe des bâtiments qui ne cesseront d’évoluer au cours des 15 ans qui suivront : en 1996, un deuxième édifice rejoint celui d’origine, dotant l’entreprise d’ateliers plus vastes et mieux équipés. 2007 marque la construction d’un étage converti en espace de bureaux, à destination du personnel administratif et commercial de la société. En 2017, enfin, la SMES développe son cadre de vie – un aspect auquel Roger Schmitt tient beaucoup. Une salle de réunion moderne et spacieuse surplombe désormais l’atelier, nouvellement climatisé, et des espaces de vie apparaissent pour le bien-être de ses salariés. 

Côté technique, l’année 2000 marque un tournant pour la SMES, avec l’acquisition de son premier centre d’usinage – une technologie qui va révolutionner le secteur de la mécanique industrielle… mais aussi celui de l’entreprise. Cette nouvelle technologie, en plaçant l’informatique au cœur des métiers de la mécanique, modifie profondément les compétences associées à ce domaine d’activité, tout en lui ouvrant de nouvelles perspectives. 

C’est ainsi que Roger Schmitt vient à mentionner les débuts de la SMES dans le prestigieux domaine de l’aéronautique. Usiner des pièces pour répondre aux besoins de ce secteur extrêmement exigeant est à la fois extraordinaire et terriblement complexe. 10 ans de persévérance seront nécessaire à la SMES pour obtenir le précieux sésame des certifications qualité ISO 9001 et EN 9100, indispensables pour travailler avec les sociétés des secteurs aéronautique, aérospatial et défense. Aujourd’hui, Roger Schmitt reconnaît qu’avoir la confiance de ces grands donneurs d’ordre est un atout pour l’entreprise. Et lui permet de réaliser des projets qui peuvent être associés à tous les qualificatifs : ambitieux, innovants, techniquement et humainement exigeants, parfois extravagants et même un peu fous, mais au final, je le vois dans ses yeux, qui font la fierté de l’entreprise… et la sienne. 

Parmi tous ces projets, j’ai demandé à Roger Schmitt si l’un d’entre eux le rendait particulièrement fier. Sans hésitation, il a mentionné le travail réalisé par la SMES sur les ascenseurs – encore en service aujourd’hui – de la Tour Eiffel à Paris. Il m’explique que sa société a été choisie pour collaborer avec le spécialiste de l’ingénierie Clemessy et que le projet a nécessité une semaine de travail sur place pour installer les pièces usinées par leur soins. 

L’entreprise a cependant connu des périodes plus sombres qui ont mis à l’épreuve sa solidité financière, mais aussi humaine et technique. Quelques années après sa création, un lourd impayé met la SMES au bord de la liquidation. Dans les années 90, le climat dans le secteur de la mécanique, et de l’industrie en générale, est loin d’être au beau fixe, et les fermetures d’entreprises, parfois emblématiques, se succèdent dans le Haut-Rhin. Confronté à ces difficultés, Roger Schmitt fait le pari audacieux « d’utiliser » cette situation peu favorable à son avantage. Il fait le choix d’investir et d’embaucher. Risqué ? Très certainement. Mais, pour lui, c’est le moment de transformer ces difficultés en opportunités. Le secteur est en évolution constante, pour ne pas dire en révolution. Le métier tel qu’il l’a connu lors de la création de l’entreprise, nécessitant le maniement du burin et du marteau, est voué à disparaître. L’investissement dans de nouvelles machines, qui répondent aux évolutions technologiques, lui semble alors une évidence. Une politique qu’il ne cessera de suivre et cela jusqu’à aujourd’hui, où le dernier bijou de technologie entré dans l’atelier a moins d’un mois. L’entreprise met également en place un effort de formation sans précédent pour accompagner les changements technologiques auprès de ses salariés, désormais au nombre de 35. Même la récente pandémie du Covid-19 n’aura pas raison de sa détermination à poursuivre ses investissements. « C’est dans les moments difficiles que nos investissements prennent tout leur sens », assure-t-il. Face à cette crise sans précédent, Roger Schmitt s’échine à négocier les prêts et profitent des aides exceptionnelles accordées par la Région Grand-Est et le gouvernement pour continuer à renouveler le parc machine de la société. Bien sûr, la pandémie a laissé des traces et pour la première fois en 30 ans, le chiffre d’affaires de la SMES a connu une évolution négative. Mais la société, habituée à rebondir, a su tirer son épingle du jeu et a vite retrouvé des carnets de commande bien remplis. 

« La satisfaction de nos clients est au cœur de nos préoccupations », explique Roger Schmitt. L’entreprise s’attache à évaluer cette satisfaction tous les ans et celle-ci est excellente. « Les problèmes que nous rencontrons au quotidien nous aident à identifier des solutions pour toujours mieux satisfaire les entreprises qui nous font confiance », ajoute-t-il. Ainsi, confrontés à des microfissures présentes dans les matériaux d’un fournisseur en aluminium, Roger Schmitt et son chef d’atelier décident de s’approvisionner directement aux Etats-Unis, constituant sur site un stock de matières premières en amont des commandes. Ce stock s’avère précieux dans un secteur où la réactivité est le maître mot, en permettant notamment à la SMES de ne pas être dépendante de délais d’approvisionnement, presque un luxe en période de pandémie mondiale. Parfois, ces solutions contraignent l’entreprise elle-même à s’adapter – les matières premières aux dimensions américaines obligent la SMES à se doter d’une scie spéciale de 4 mètres pour découper ces pièces hors-normes ! 

Qualité, flexibilité, réactivité, ces mots rythment ma discussion avec Roger Schmitt, qui enchaîne les anecdotes sur la vie de l’entreprise qu’il a créée il y a plus de 30 ans. Mais il termine notre entretien en me parlant des hommes et des femmes sans qui sa société ne serait rien. Tel un patriarche à la tête d’une grande famille, il m’explique comment, au fil des ans, il a tenu a mettre en place un environnement de travail dans lequel ses employé.e.s se sentent bien. L’extérieur de l’entreprise agrémenté d’espaces verts, les salles de pause qui donnent une dimension conviviale à la société, les tenues de travail aux couleurs de la SMES pour rendre son personnel d’atelier fier de travailler pour un objectif commun, les primes versées pour partager la réussite d’une belle année, les sorties organisées pour l’ensemble de l’équipe… L’équipe a aussi une dimension familiale, puisque ses deux fils font partie de l’aventure. Tous deux ont rejoint la société, à 16 ans pour l’aîné, 14 pour le plus jeune et connaissent bien les rouages de l’entreprise qui a avancé et grandi avec eux. À ce moment de notre discussion, je me dis que cela doit le rendre fier, d’avoir créé cette entreprise et de voir que celle-ci continue d’évoluer avec l’aide de la prochaine génération familiale. 

Au bout de 30 ans, nous pourrions nous dire qu’il est temps pour Roger Schmitt de contempler le chemin parcouru et d’être fier de ce qu’il a accompli dans des circonstances qui n’ont pas toujours été tendres. Mais il a encore des projets pour son entreprise. Il souhaite continuer à investir pour agrandir ses locaux, notamment afin de créer un secteur dédié au tournage dans l’atelier. Il compte également avoir plus d’espace pour disposer d’un stock de matières premières plus conséquent et plus diversifié. Et surtout, il aimerait continuer à créer des emplois. Depuis toujours, il estime avoir une responsabilité en ce sens. Former des apprentis avec de vraies valeurs, embaucher de nouveaux employés qui sauront s’intégrer tout en faisant preuve de personnalité et de caractère, donner à chacun.e de ces nouvelles personnes la chance de profiter de l’expérience, de développer des contacts tout en restant humble, c’est cela sa vraie mission… et l’avenir de son entreprise. 

Je lui demande enfin comment il envisage son propre avenir. Il me répond en souriant que certains clients fidèles « ont du mal à le laisser partir » et qu’il sera encore de la partie pour quelques temps. Le 5 novembre 2021, Roger Schmitt a reçu des mains du Député Jean-Luc Reitzer la Médaille de l’Assemblée Nationale. Parmi les invités, son professeur de français et d’instruction civique au lycée professionnel, avec qui il entretient une amitié de longue date. Une belle reconnaissance pour celui qui fût en son temps le plus jeune chef d’entreprise de la région. Ce qu’il aimerait pour la suite ? Que les gens respectent ce qu’il a accompli et qu’un jour, « tout roule sans lui ». Une bien belle manière de passer le flambeau… 

Nathalie AMIOT

  • Partager :